samedi 16 mai 2009

Jean-Pierre Thorn

Je tenais tout d’abord à être ici pour remercier l’ensemble des acteurs de l’action culturelle, parce que je fais partie d’un type de cinéma qu’on appelle indépendant et qui n’existerait plus dans ce pays s’il n’y avait pas tout ce travail. J’ai eu la chance de commencer mon cinéma dans les années 1980 en même temps que le GNCR – Groupement national des cinémas de recherche. J’ai vu naître tous les mécanismes tels que Collège au cinéma, Passeurs d’images, l’UFFEJ – Union du film pour l’enfance et la jeunesse, etc. J’ai vu se faire tout ce travail formidable de terrain. Le cinéma qui cherche, le renouvellement des formes dans ce pays sont liés à tout votre réseau. Si vous n’existiez pas, ce cinéma mourrait.

Quand on a commencé notre action à l’ACID – Association du cinéma indépendant pour sa diffusion – en 1992, nous partions avec Manuel Poirier et Lucas Belvaux avec nos copies dans le coffre pour rencontrer toutes les salles en région. Nous leur disions que ce cinéma devait exister, qu’il devait vivre et que c’était de notre et de leur responsabilité. Ces cinéastes ont été, par la suite, au cœur de l’industrie, ils ont remporté des prix dans les festivals, ce qui implique qu’il y a une interaction entre ces mondes et c’est cela le cinéma français. C’est cette interdépendance, cette complé-mentarité entre la recherche de nouveaux publics, l’expérimentation des formes et l’industrie qui fait la particularité française, mais en ce moment, nous sommes en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Il y a de l’argent, le Club des 13 a mis en avant le problème de sa redistribution. Le fonds de soutien représente un cumul de sommes considérables, mais comment est-ce réparti ? Et à qui va-t-il ? En grande partie aux films de plus de 7 millions d’euros, aux multiplexes. Et qu’est-ce qu’il en est pour le soutien aux autres salles, est-il suffisant ? N’y a-t-il pas une responsabilité publique dans ces choix ? Pourquoi ne pas remettre en avant le sélectif et lui donner une véritable force ? C’est le CNC qui pourrait inverser les curseurs, pourquoi neprend-il pas cette responsabilité politique et publique ?

Je vois ce travail unique et riche, toutes ces salles, ces dispositifs d’éducation à l’image avoir leurs moyens limités. Cela me serre le cœur et cela arrive précisément au moment de la crise du système capitaliste avec ses ségrégations, ce rejet des populations pauvres, la pérennisation des ghettos. Le cinéma doit être présent et doit jouer son rôle de créateur de lien social par la création. Quand nous allons avec Passeurs d’images projeter On est pas des marques de vélo ou Faire kiffer les anges dans des quartiers dits « difficiles » et que nous créons du spectacle vivant, avec des danseurs par exemple, issus du milieu du public lui-même, nous rendons une fierté à ces gens. Quand je vais dans une classe, ce sont les gamins qui tirent les parents par la main. Quand un cinéaste touche un de ces jeunes et que celui s’exprime à la fin de film, les yeux qui brillent, c’est parce que le cinéma peut parler de lui. Il n’est plus dans un acte de consommation, il est dans un acte où la création touche la vie. Il peut s’identifier et reprendre une fierté d’être. Ce sont des « petites choses », mais pas si petites que ça …

Lors d’une projection à Martigues, par exemple, un jeune vient me voir et me remercie de parler en bien de lui. Comme si « parler en bien » c'est-à-dire raconter l’histoire de populations pauvres, de femmes de l’immigration totalement invisibles, était devenu quelque chose d’exceptionnel, alors qu’en faisant cela, nous ne mettons le cinéma que là où il doit être. Parce que le cinéma est un art populaire avant tout et il retrouve là sa fibre d’origine. Est-ce que cela est vraiment un hasard que cette attaque de l’action culturelle, qui n’est pas seulement économique, arrive au moment où notre Président de la République se permet d’insulter les jeunes des quartiers, en leur enlevant par ailleurs de plus en plus de moyens d’expression ? D’où la responsabilité de nous tous, artistes, salles, associations, festivals de redonner des fiertés, de revaloriser, d’être là où la société vit et résiste à cette politique d’aliénation et de formatage insupportable.