mercredi 1 avril 2009

Contribution de l'ACRIF

ACRIF : Association des cinémas de recherche en Ile-de-France


Postulat de départ : l’action culturelle, on n’est même pas sûrs que ça serve à quelque chose. À la limite, les types qui ont peint des grottes de Lascaux non plus, d’ailleurs… Ils ont, en quelque sorte, écrit une lettre sans savoir quel en serait le destinataire. C’était un acte à la fois, gratuit, primitif, sauvage, libre, directement relié à leur imaginaire. Ce tout premier geste inutile accomplissait alors un exploit inédit : faire partager le temps de cette grotte, LEUR temps, avec le reste du monde… ou avec personne, c’était selon… Il se trouve qu’il y a eu le hasard et deux gamins pour dénicher et décacheter ladite lettre… elle nous parle encore à tous maintenant.

La suite on connaît : les murs de la grotte se sont animés, il y a eu les jardins de Babylone, la chute de l’empire romain, la planète Mars, les extra-terrestres, la naissance de l’amour…; pour la faire courte, il y a eu le cinéma et quelques marchands pour tirer profit, complexifier et reproduire ad libitum ce premier acte artistique, bref, pour le contrôler. Quitte à mettre en danger son essence première : sa singularité et sa fragilité. Mais le temps de l’art, le temps du cinéma n’est pas celui du pouvoir ou du commerce. Il n’induit aucun contrôle sur ce qui se passe dans la tête des gens.

Le cinéma survit encore. Dès qu’une institution tente de le contrôler pour mettre le spectateur aux ordres, il s’évanouit et ressurgit dans les territoires les plus inattendus. Il faut donc en permanence mettre en défaut l’obligatoire dans l’art. Il est donc de notre devoir de créer du désordre et de dynamiter quotidiennement nos certitudes en réinterrogeant constamment nos pratiques.

Parce qu’il y a une différence de taille, depuis Lascaux : aujourd’hui plus rien n’est caché. Tout est à disposition. Partout. Tout le temps.

Le cinéma ce n’est pas l’art des images, c’est l’acte de montrer. *

Montrer, c’est rendre visible la singularité d’une œuvre d’art : montrer, donc, ce qui, en elle, résiste et nous malmène.

L’action culturelle telle qu’elle est pratiquée dans notre réseau de salles se revendique autant du laboratoire, du travail de curiosité que de la mise à l’épreuve de nos propositions face aux différents publics de nos territoires. Montrer et recevoir les films implique une horizontalité des désirs.

Et nous ne savons ni ne mesurons ce que ça représente dans la vie des gens.

Alors pourquoi l’action culturelle ? Parler des films c’est questionner le monde avec passion.

L’action culturelle est du côté de l’accident, de la fragilité, de la mise en jeu.

Il s’agit dans les salles d’ouvrir un espace et un temps communs aux auteurs et aux spectateurs, où le cinéma devient la matière d’une réflexion partagée sur ses formes et sur la manière dont elles travaillent nos vies. D’oublier les habitudes culturelles qui partagent « a priori » les films et les publics et de faire notre propre partage entre ce qui, du cinéma est vivant et ce qui est mort.

Il y a quelque chose de beau – de très fordien, finalement – dans cette volonté de mettre en scène des hommes et des femmes dans leur cadre quotidien et de leur permettre d’accorder leurs (grandes) espérances à celles du spectateur.


L’imaginaire est cet invisible commun qui résiste à la dictature du fait et du calcul.

Mais attention, pas d’angélisme : prendre en compte la gestion ou plutôt la viabilité de nos lieux – sans que cela devienne une tyrannie – c’est l’exercice périlleux et constant auquel nous nous livrons.

L’argent public est nécessaire pour poursuivre cette éternelle remise en jeu des lignes de partage, du bon et du mauvais goût, de ce qui relèverait du populisme ou de l’élitisme, bref réinterroger nos pratiques, au regard des nouveaux enjeux esthétiques, politiques et économiques.

L’argent public, et son utilisation, n’est pas une mince affaire, et nous souhaitons, à l’inverse des modes contemporaines consistant à jeter un regard condescendant à l’égard des politiques, revitaliser notre nécessaire partenariat, de sorte que nous inventions les formes d’une nouvelle économie de la culture.


* Serge Daney